[Cinéma de quartier] Chien Enragé par Akira Kurosawa
Synopsis
Dans le Japon d'après-guerre, Murakami, un policier, se fait subtiliser son arme. Son supérieur refuse sa démission et l'envoie à la poursuite du malfaiteur. Il mène son enquête dans les bas-fonds de Tokyo, où il côtoie la misère d'une population qui survit difficilement à la défaite de son pays.
Casting
Réalisateur : Akira Kurosawa
Acteurs et actrices : Toshirô Mifune, Takashi Shimura, Gen Shimizu, Keiko Awaji...
Date de sortie : 17 Octobre 1949
Avis
Les changements profonds opérés par les forces d'occupation Américaine au Japon est l'un des thèmes favoris des auteurs de ce pays. On ne reviendra pas sur le rôle détestable qu'a pu jouer le gouvernement Impérial Japonais, mais les erreurs de l'après-guerre furent nombreuses de la part de l'Occident. Écraser un pays, sa population, voir même l'atomiser, ce n'est pas vraiment un signe de sagesse absolue. Alors que le ressentiment grandit dans le pays, Kurosawa intervient avec son Chien Enragé pour remettre l'Homme au centre du débat.
Le Japon a donc perdu la guerre. Et les citoyens, éloignés du conflit comme on peut l'être, ici en France quand notre oripeau met en branle l'arme de guerre, tentent de reprendre une vie normale. C'est ainsi qu'on rejoint Murakami, fraîchement policier. Non sans que la première image du film ne fut celle d'un chien... enragé. La force de l'effet Koulechov faisant une fois de plus ses preuves, se retrouver avec un Mifune, totalement habité par son rôle, dans son commissariat, les cheveux mouillés de sueur, l'air complètement perdu, ça donne tout de suite l'ambiance. Murakami s'est fait voler son arme, il en est déshonoré. Là, flashback pour nous montrer le larcin. Le jeune policier subit les transports en commun bondés, la sueur. Ses pensées prennent la forme d'une voix off, elle nous embarque avec le personnage, faisant ressentir l'insupportable moiteur du lieu exigu. Le vol intervient et Murakami, se rendant compte de la situation, se lance à la poursuite du fuyard. En vain, la course-poursuite, qui se termine en cache-cache perdu d'avance, sonne la fin du flash-back. Retour au commissariat.
Soyons très clair, en une introduction Kurosawa nous rappelle à quel point le terme "génie" est galvaudé. Comment qualifier ce début de métrage, si le premier bon cinéaste venu peut atteindre cette cime dans des commentaires endiablés ? Mais bref, ce n'est pas important, et parlons de cet exemple de début réussi. Le rythme y est haletant, ce qui sera le cas pour le reste du film. L'idée de montrer le vol en flash-back emmène, de facto, le premier nœud dramatique très tôt, dès les premières minutes. La fonction du flashback est, elle, de mettre le film sur les rails d'une sorte de néo-réalisme à la Japonaise, à la fois frontal dans la description et tourné, parfois, en studio. Prouvant, au passage, que l'extrême de la Nouvelle Vague ("studio ? Cinéma à papa !") n'était pas un gage de réussite pour essayer d'atteindre une certaine forme de cinéma. Enfin, est introduite la chaleur, véritable second rôle du film, qui alourdit les cœurs, les faisant suffoquer et suer.
A la limite du documentaire, Chien Enragé devient vite une étude approfondie des changement qui furent en cours à cette époque. Quand le flic interroge une femme de petite vertu, elle lui rétorque en lui parlant des Droits de l'Homme, déclarés à peine un an avant la sortie du film. Puis, la dame part en prononçant "bye bye". La société Japonaise s'américanise, ce qui n'est pas spécialement jugé par Kurosawa comme mauvais, plutôt comme douteux. Kurosawa doute du monde dans lequel il vit, et on le sent dans beaucoup de séquences. Celle du stade de baseball par exemple, est une autre image forte d'une identité entrain de s'effacer pour laisser place à une autre, et toujours montrée avec une sorte de mélancolie.
Kurosawa doute, car pour lui ce n'est pas le système qui importe, mais l'Humain. Il est l'humaniste en chef, celui qui ne demande jamais au spectateur d'aimer ou de détester un personnage. Certains devraient en prendre de la graine. Murakami a donc perdu la face en même temps que son arme. Dans ce Japon en reconstruction, il fera tout pour le retrouver car chaque coup de feu tiré avec son colt est comme une blessure dans sa propre chaire. Dans cette enquête, le jeune flic va devoir se déguiser en "vagabond" pour passer inaperçu dans les bas-fond et approcher les revendeurs d'armes. Le déguisement est en fait une tenue de soldat, poisseuse et transpercée, qui ramène Murakami à son passé de soldat. En se remémorant cette errance que vivent les soldats défaits, il se rend compte à quel point il aurait pu basculer vers la pègre, la vie de malfrat. Cette séquence, d'une grande finesse aussi bien fondamentale que formelle, trouve un échos à la fin. Une confrontation magistrale, dont certains plans préfigurent le western à l'italienne, et qui démontre à quel point le voleur n'est qu'un Murakami ayant eu moins de chance, de force pour s'en sortir.
Jamais en position de juger qui que ce soit, Kurosawa ne fait que décrire un quotidien Japonais plongé dans l'incertitude des lendemains de défaite. Dans un film noir d'une beauté esthétique à se damner et d'une justesse totale dans les descriptions, le réalisateur montre à quel point il fut un génie. Un vrai.
J'aime
- Pour être clair : tout.
- Du vrai cinéma humaniste.
- Retrouver le sens des valeurs, se remémorer le sens du mot "génie"
- Toshirô Mifune dans un autre registre, ça fait du bien.
- La version collector signée Wild Side, avec le document "Akira Kurosawa écrit des romans".
Vu en DVD chez Wild Side.
Publié par MB.